[02] – Stick to your guns


Les flingues ne sont pas des armes, juste un moyen de dissuasion. Bonsoir. Ah, la beauté fatale, le genre de truc qui se pointe devant vous, vous rend totalement fou et vous envoi dans un trou. Il parait que les femmes sont plus talentueuses pour tout, alors pour une fois je vais la laisser raconter son histoire.
Il n’y a pas d’armes, que des mots, nés dans la douleur. Je ne suis pas une meurtrière, il m’a ôté la vie avant que je n’ôte celle des autres. — Simha
Il y a quelques mois, j’ai rencontré un être étrange, un vagabond qui parcourt le monde en quête de spiritualité. Il est venu me voir et m’a demandé :
– Pourquoi tout ce noir ?
– Qu’est-ce que ça peut vous faire ? demandais-je.
Sa voix résonnait comme la mienne, métallique. C’était un symbian, l’un de ceux qui recherchent leurs origines.
– J’aime entendre les aventures des autres le long de mon voyage. Quelle est la vôtre ?
– Je vais vous raconter une histoire, mon histoire.
Puis je lui ai tout raconté, depuis le début, je ne sais pas pourquoi ni comment il m’avait poussé à le faire, ça ne me ressemble pas.
– Je m’appelle Simha, fille du déchu dictateur Ilyàs. J’ai abandonné son nom depuis quelques années déjà. J’ai été élevée comme il l’a été, il m’a appris à me défendre, à manier les armes, les armes à feu.
J’ai toujours eu la soif de pouvoir qu’il avait, mais pas comme lui, pas comme ça. Beaucoup dans mon pays en veulent à mon père, pour sa vision des choses, pour sa façon de régner comme un roi intouchable et destructeur. Il ne pense pas à son peuple, il pense à lui avant tout. Ses plaisirs de martyr, à torturer tout le monde, c’est le genre de chose que je n’arrivais pas à accepter. J’aspirais à autre chose, quelque chose de plus puissant. J’avais quinze ans le jour où tout a changé. Certains ont le courage de s’en prendre à notre famille, seuls les Symbians ont jusqu’alors réussi à nous toucher. Je ne sais pas comment ça s’est passé, mais je sais que j’étais la cible principale de leur attaque. J’étais la seule fille, la plus jeune, la seule qui ne voulait pas rester dans le manoir pour y rester en sécurité. Ce jour-là, j’ai décidé de sortir, d’aller boire un coup avec mes amis. Une heure après notre arrivée, les personnes autour commençaient à s’affoler. On pensait qu’il y avait eu un autre meurtre des milices, pour changer, comme souvent, mais nous étions loin du compte. Une vingtaine de Symbians débarqua autour du café pour le faire exploser. J’ai survécu à l’attaque, je ne sais pas comment, mais j’avais presque tout perdu. Mes jambes, mes bras, je ne pouvais plus rien en faire. Mon père est devenu fou. Il a alors fait éradiquer tous les Symbians du pays. Puis, un jour, un homme vint me voir, encapuchonné, habillé en noir et violet.
– Il vous a promis de grandes choses.
– Il m’a promis de me rendre mes jambes et mes bras, de me donner le pouvoir de supprimer à jamais ceux qui m’ont attaqué. Dans ma quête de pouvoir, je me suis dit que ça ne pouvait que m’aider, alors je lui ai dit oui. Il m’a amené dans son château, loin. Il m’allongea puis quitta son long manteau. Il était chétif, la peu grise et des tatouages luisant sur le corps. Puis il commença à prononcer des mots, dans une langue qui m’était complètement inconnue. Son corps se couvrit de fumée puis il posa ses mains glacées sur mon corps. J’ai senti les ombres m’envahir, prendre place dans mon âme et me consumer comme il l’a été avant moi. Quelques heures plus tard, je me réveillais, rien n’avait changé, mais je pouvais à nouveau bouger les bras et marcher.
– Pourquoi êtes-vous parti ?
– J’ai passé dix ans à son service. Il m’a enseigné les origines de notre pouvoir, comment le maitriser.
J’étais devenu les ombres elles-mêmes, un serviteur de la mort incarné. Et j’étais morte, tout ce que j’avais vécu avant avait disparu dans ses ténèbres.
– Vous aspiriez à toujours mieux ? demanda-t-il.
– Ma quête de pouvoir ne s’est jamais achevée, malgré ses capacités, je voulais plus. Mais quelque chose m’a éclairci la vue. Un jour, lors de mon dernier entrainement, mes pouvoirs devinrent bien plus puissants que les siens. Ma force pouvait détruire le monde. Pensant alors que je pouvais me retourner contre lui. Il me jeta un sort pour stopper mes capacités. Mais c’était déjà trop tard. J’étais plus forte que lui et mon passé m’avait ouvert les yeux. Je me suis retournée contre lui, le laissant à l’agonie, puis j’ai passé le restant de mes années à errer, servant la mort.
– Votre histoire est touchante.
– Pourquoi vous intéresser à moi ?
– Je ressens quelque chose de grand en vous, quelque chose qui pourrait changer le monde, dit-il.
Cette histoire n’a été racontée que deux fois, à l’étranger qui cherchait la paix et au plus grand adversaire qu’ait rencontré Simha. Ce dernier était le disciple du vagabond, il a été le premier à ne pas subir les pouvoirs de Simha. Ses combats perdus contre lui la mena à retrouver ce guerrier.
– Pourquoi est-ce que tu me cherches ? demanda l’homme en armure.
– On m’a envoyé te tuer !
Le guerrier était en pleine méditation, Simha se tenait derrière lui, le sabre de son adversaire à la main.
– Tu choisis toujours les armes de tes victimes pour les tuer ?
– Comment sais-tu tout ça ?
– Je ne te connais pas, ton maitre a dû plus t’en raconter sur moi. Mais je vois des choses, je comprends.
– Pourquoi faut-il toujours que vous en rajoutiez pour rallonger votre souffrance ?
– Tu as encore l’espoir de pouvoir me tuer ? C’est amusant.
– N’essaie pas de me détourner.
– Je n’essaie pas, tu l’as fait toi-même. Tu sers tes propres intérêts, rien ne t’oblige à terminer tes contrats.
– Qu’est-ce que tu veux ?
– J’ai quelque chose à t’offrir, si tu termines à bien ma mission. Marsham a lancé une attaque sur son usine de symbian. Je veux que tu sauves les survivants et que tu supprimes les machines de guerre qui vont en sortir. Reviens me voir ensuite.
– Pourquoi je le ferais ?
– Essaie, rien ne t’empêche de revenir pour me tuer ensuite.
Elle ne prononça pas un mot, elle partit aussi vite qu’elle était arrivée. Le guerrier encore en méditation se releva et alla chercher une mallette qu’il déposa sur la table à côté de son tapis et s’en alla à son tour.
À son retour, Simha ne trouva personne, la pièce était vide, pas pour longtemps. Les pas métalliques du guerrier se firent entendre quelques secondes plus tard.
– La mallette, elle est pour toi, dit l’homme.
– Pourquoi ?
– Tu as rempli ton contrat, son contenu est à toi.
– Je n’ai pas besoin de…
En l’ouvrant elle découvrit deux armes à feu, toutes deux signées, une « Beautiful » et l’autre « Brutal » et un médaillon.
– Le médaillon comporte la tenue, tu n’as qu’à le porter pour qu’elle apparaisse.
Elle l’enfila sans se poser de questions. Il lui colla une armure sur le torse, des gantelets en forme de griffes, une tunique moulante sur le reste du corps, un long manteau noir sur les épaules avec une capuche, des bottes à talons chargées comme des pistolets. Simha se sentait différente, elle-même, depuis le jour où elle avait retrouvé ses membres.
– Inutile de me remercier. Pense juste à une chose. Il n’y a jamais qu’une seule solution. Reviens me voir à l’occasion. J’ai de grands projets pour toi.
Pour la première fois, Simha n’avait pas écouté ses ombres, uniquement ses intérêts et son cœur.
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