[08] – Room 138


Que ferait un homme qui a survécu à un virus mortel, qui est mort, puis qui renait ? Bonne question. Bonsoir. Encore une fois, les histoires des personnes sont mieux racontées par celui qui les vit. Alors, allons-y !
Qu’est-ce qu’il m’est arrivé ? — Reyzelays
– Je comprends plus rien, que s’est-il passé ?
– C’est un peu compliqué à expliquer ça, répliqua Nova.
Cet homme, qui était-il ? Oh ! Excusez-moi, je vais peut-être un peu vite. Je me présente, je suis Reyzelays. Ça parait plus être un nom inventé qu’un véritable prénom, seulement, je n’ai aucun souvenir de mon vrai prénom. Laissez-moi vous raconter mon histoire. Du moins jusqu’où je m’en souviens.
On revient donc à mon réveil. J’ai été déterré, par qui ? Je ne sais pas, par quoi non plus. Tout ce que je sais c’est que quelques heures plus tard, je me réveillais, totalement perdu.
– Où est-ce que je suis ?
– Suis-moi, fit une voix fluette.
– Et en plus, j’entends des voix, génial.
On m’avait enterré dans une forêt, à côté d’une résidence, assez atypique. Je me sentais faible, perdu, et affamé.
– Suis-moi, reprit la voix.
– Qui suis-je censé suivre ?
Une femme fantôme apparue devant moi. Sur le coup, je me suis reculé. Depuis quand les fantômes existent ? pensais-je. Après quelques secondes de réflexions, je me suis dit que je n’avais pas vraiment d’autre choix. Alors je l’ai suivie, jusqu’à la résidence.
La porte de derrière avait été explosée, quelqu’un était déjà rentré ici. Je m’y suis glissé à mon tour, essayant d’avancer doucement, pour ne pas éveiller quoi que ce soit qui pourrait vivre ici. Il n’y avait strictement rien, à part moi et ce fantôme qui m’épiait depuis que j’avais repris connaissance. Je me suis installé dans un fauteuil, dans ce qu’on aurait pu appeler un salon. Puis je me suis assoupi, je ne sais combien de temps, peut-être trente minutes. À mon réveil, j’ai entendu des bruits de pas sur le plancher. Quelqu’un d’autre venait de prendre la porte que j’avais passé. J’étais alerte, mais je savais pertinemment que je ne pourrais me défendre s’il voulait s’attaquer à moi.
– Ah, vous êtes là. Je vous cherchais, fit l’arrivant.
– Qui êtes-vous ?
– Un simple voyageur.
– Qu’est-ce que vous me voulez ?
– J’ai des choses à vous raconter, mais je n’ai que cinq minutes pour ça maintenant, alors va falloir vous accrocher.
– Je comprends plus rien, que s’est-il passé ?
– C’est un peu compliqué à expliquer ça, répliqua Nova.
– Alors, faites-le.
– Pour faire court, vous êtes mort il y a techniquement quatre-vingt-quinze ans. Votre famille vous a enterré ici après que le virus vous ait infecté et tué, presque. Votre famille vous a pris pour mort quand cet esprit, dit-il en me montrant le fantôme, a pris possession de votre corps infecté. Vous avez hiberné pendant tout ce temps, votre âme bataillant contre celle de la demoiselle, puis un jour elle a décidé d’arrêter de se battre. Le même jour où quelque chose ou quelqu’un vous a déterré.
– D’accord, mais, comment expliquez-vous que mon corps ne soit pas…
– Vous êtes déjà mangé par les vers depuis des années. Votre corps est en décomposition, évidemment, reprit-il.
J’étais encore plus perdu qu’avant, en plus d’être totalement apeuré.
– Ça peut être perturbant, je suis d’accord, mais y’a rien de grave, vous êtes vivant !
– Rien de grave ? Je suis censé faire quoi alors que je suis à moitié mort ?
– Oh, désolé, il faut que j’y aille, dit-il disparaissant dans une lumière bleue.
J’ai regardé mes mains, j’avais l’impression d’être un mort-vivant, je n’avais plus rien d’humain. Puis cette chose qui m’épiait en permanence, je n’avais pas la moindre idée de ce qu’elle voulait. J’ai cherché une chambre, pour essayer de dormir, toujours essayer.
J’ai dû réussir à dormir, puisque je ne me souviens pas avoir tourné dans mon lit sans rien faire. Le lendemain, tout allait toujours aussi mal que la veille. Mais le fantôme avait disparu. Je me suis demandé comment j’allais survivre, j’étais loin de la ville, à mon avis. Mais je devais manger, alors j’ai voulu partir loin d’ici pour rejoindre la civilisation.
– Vous devriez vous habiller, me fit l’homme apparaissant de nulle part.
– Laissez-moi deviner, vous n’avez que cinq minutes ?
– Six exactement, mais ce n’est pas la question, dit-il s’asseyant là où il se tenait.
– Qu’est-ce que vous me voulez ?
– Vous voulez aller chercher à manger, ce qui est plutôt intelligent. Cependant, je doute que les gens aient envie de voir un homme à moitié en décomposition, dont les trous se font recouvrir par une matière noire, et en plus, à moitié nu.
Il avait raison, les parties de mon corps qui s’étaient fait manger par les vers commençaient à se refermer, avec une sorte de chose noire, avec des reflets violets.
– Mettez au moins un t-shirt et un pantalon, que ça soit moins visible.
– Et je trouve ça où ?
– Dans la chambre dans laquelle vous étiez, il reste des habits. Prenez ce que vous voulez.
J’ai commencé à monter les escaliers, puis une question m’est venue à l’esprit.
– Qui êtes-vous ? À part un grand voyageur.
– Je m’appelle Nova. Je ne cherche pas à vous faire du mal, juste à vous guider.
Des chasseurs, voilà ce qui habitait cette résidence. Des tuniques renforcées contre les attaques, des arcs, des fusils. J’ai pris un de ces ensembles, avec une cape qui me donnait une capuche. Puis je suis parti me chercher à manger dans la ville la plus proche, et suis revenu dans la résidence. Au moins ici, personne ne pouvait m’emmerder, à part Nova.
Et puis, il y a eu ça. Quelques heures après avoir mangé, alors que j’étais assis sur le canapé, à moitié en train de comater, j’ai eu l’impression que ma peau brulait. J’avais une sensation de chaleur sur les bras, mes jambes, mon torse. Puis une intense douleur, toujours plus forte. Enfin une puissante migraine qui m’écrasa au sol, la tête entre les mains. Tout devenait sombre autour de moi, tout mon corps me faisait souffrir, comme jamais. Puis lorsque j’ai enfin réussi à me mettre sur les genoux, le fantôme réapparu devant moi. D’énormes flammes violettes se déclenchèrent autour de moi, la douleur était toujours plus forte. Assez insoutenable pour que je mette à crier, puis plus rien. Je me suis évanoui. Cette chose quelle qu’elle soit était en train de me détruire.
Mais comme vous vous doutez, je ne suis pas encore mort. Deux ou trois jours plus tard, je me suis réveillé, encore une fois Nova devant moi.
– Bordel, fis-je me levant avec difficulté.
– Je n’y suis pour rien, prenez-vous-en au fantôme qui a réussi à trouver une faille dans le virus.
– Quoi ?
Il était toujours là. Une silhouette toute noire, avec une sorte d’aura violette autour d’elle. Qu’est-ce qu’elle me voulait ?
– Oh, et elle s’appelle Phase. Elle ne parlera pas quand je suis là. J’ai l’impression qu’elle pense que j’ai de mauvaises intentions pour elle. Ou qu’elle a de mauvaises intentions et que je veux l’en empêcher, je sais pas.
– Et je suis supposé faire quoi ? demandais-je.
– Attendre. Vivez votre vie jusqu’à ce qu’elle se décide à vous montrer ce qu’elle veut de vous.
– Et ça peut prendre combien de temps ?
– Bah, un jour, une semaine, deux ans. Ou cent. Ne vous en faites pas, tout va bien aller, dit-il avant de s’en aller.
– Qu’est-ce que tu as fait de moi ?
– Moi ? répondit la fille, rien. Je n’ai fait que prendre possession de ton corps.
– J’y comprends rien.
– Moi non plus, dit-elle.
– Ne te fous pas de moi. Je suis à moitié mort, recouvert par une étrange substance noire. Tu m’as fait vivre un cauchemar plus douloureux qu’avoir été brulé vivant.
– J’ai vu une faille dans le virus que tu portais, je l’ai exploitée pour reformer ton corps et me libérer de la chose qui m’a amené dans le Styx.
– Dans le Styx ? Quoi ? J’arrive pas à suivre.
– Elle débarque d’un être qui a absorbé des milliers d’âmes pour sortir des enfers. Elle a été extraite de son corps, puis a trouvé un hôte qui pourrait la supporter. Toi.
– Merci Nova.
– Je n’ai fait que trouver ma rédemption, répliqua-t-elle.
– Ouais en lui filant un pouvoir qu’il n’arrivera jamais à contrôler, fit Nova sarcastiquement.
– Pourquoi ? C’est grave ? Au pire, il meurt.
– Sauf que s’il crève, tu te retrouveras à errer sur Terre à ne pas pouvoir trouver d’hôte compatible.
Elle baissa les yeux, se rendant compte de son erreur.
– On m’explique ? demandais-je.
– Vaguement et pour faire court, les âmes dont elle faisait partie possédaient une sorte de démon, un truc assez sombre et destructeur qui foutait la merde. Si j’ai bien compris, elle a trouvé une faille dans le bioReign pour confiner le démon, et l’empêcher de le rendre destructeur. Sauf que si elle ne veut pas t’apprendre comment maitriser cette merde, tu vas finir pire que ce qu’elle était avant.
– Pourquoi six minutes ?
– Oh, c’est légèrement compliqué ça, dit-il me montrant du doigt. Je t’expliquerai.
– Et c’est quoi exactement ce démon ?
– Une chose capable de contrôler le vide.
– Génial, m’exclamais-je.
Elle me regarda quelques secondes, elle m’expiait plutôt, mais venant d’un fantôme à moitié invisible, ce n’est pas facile à distinguer.
– Je dois t’apprendre à contrôler ça, dit-elle.
– Ça m’a l’air de te réjouir.
– Je ne voulais pas ça, je voulais juste me débarrasser de cette chose et partir.
– Et tu te retrouves coincé dans mon corps, à devoir m’apprendre à contrôler les pouvoirs d’une chose que tu as essayé de fuir. Plutôt sympathique comme situation.
– Parle pour toi, répondit-elle.
– Évidemment. Alors, par quoi on commence ?
– On attend qu’ils se manifestent, d’ici là, tu ne me verras plus, dit-elle s’effaçant.
– Parfait.
J’ai vécu ma vie pendant presque un an, je dirai neuf ou dix mois sans rien, comme si j’étais encore qu’un simple humain. Mais quelque chose me dérangeait. Bordel ! Comment on avait réussi à créer des robots ? Partout, dans tous les coins de rue, un robot. Enfin, un Symbian pour être précis. J’avais raté quatre-vingt-quinze ans de vie, j’avais encore vingt-et-un ans, mais rien n’était pareil. Je ne savais pas comment le prendre. J’ai eu beaucoup de mal à me faire à l’idée que j’avais dormi aussi longtemps. Encore moins au fait que chaque fois que je me regardais dans un miroir, je voyais cette chose noire sur mon visage. Mais qu’est-ce que c’était ?
– Une excroissance du bioReign, me fit Nova de retour quelques mois plus tard.
– Comment ça ? m’étonnais-je.
– Le virus est capable de modifier le corps des humains. Certains avaient doublé de masse musculaire, d’autres avaient des griffes, des lames à la place des bras.
– Donc je vais me transformer ?
– J’en doute. Phase a juste utilisé un résidu de la souche pour ne pas laisser ton corps se décomposer, encore plus.
– Alors quoi ? Qu’est-ce que je dois attendre ?
– Que quelque chose te force à te défendre.
– Pour que mes pouvoirs apparaissent ?
– Vaguement oui, répondit-il.
– Alors je peux encore attendre longtemps.
– Pas forcément.
Nova me fit passer à travers les murs de mon appartement, explosant tout sur mon passage. Alors une sorte d’aura se posa autour de moi, commençant à aspirer les débits que j’avais amenés avec moi. Enfin, mon corps s’éleva dans les airs, en face du trou que j’avais creusé dans le bâtiment puis Phase apparu à côté de moi.
– Évidemment, tout va plus vite, reprit Nova.
– Qu’est-ce que tu m’as fait ?
– Je t’ai forcé à te défendre. Rien de plus.
– Qu’est-ce que c’est que ça ?
– J’aurais dit un trou noir, mais ça a plutôt l’air de graviter autour de toi que d’en être aspiré.
– Alors, aide-moi !
– Non, demande à ton fantôme, j’ai d’autres choses à faire, dit-il sautant à travers un portail.
– Tu m’expliques ?
– Rien de vraiment étonnant, répliqua Phase. Tu contrôles un pouvoir du vide. Tu fais graviter les choses autour de toi. Certainement les personnes aussi.
– Comment j’arrête ça ?
– Concentre-toi.
Concentration, c’est ce que j’ai fait, et je me suis lamentablement écrasé dans une poubelle. Suite à tout ça, je devais partir de la ville où j’étais, alors je suis parti vers Paris.
Ah Paris, voilà une ville que le temps n’avait pas vraiment changée, toujours aussi charmante, toujours aussi classe. Je me suis alors intéressé à la concentration. J’ai passé des semaines entières à me concentrer sur ce que je pensais. Faire bouger les objets, créer des puits de gravitation pour attirer les choses autour de moi. Puis arriva ce jour où Phase revint, encore une fois.
– J’ai une dernière chose pour toi.
– Et tu te décideras à te barrer ? demandais-je.
– Je ne peux pas partir, je peux toujours t’aider, mais pour ça il te faut un catalyseur.
– Tu veux pas non plus me donner un caillou pour me reprendre mes pouvoirs ? Maintenant que je les ai bien développés.
– Non, tes pouvoirs t’appartiennent, mais je peux t’aider à ne pas sombrer à cause du démon.
– De quel démon ?
– L’artéfact est une arme d’un puissant guerrier. Elle ne fera qu’amplifier tes capacités, mais aussi amplifier l’emprise du démon que je portais, dit-elle.
– Alors, dis-moi où je dois la trouver. Tu n’auras qu’à te battre contre lui.
– Tu ne m’aimes pas, n’est-ce pas ?
– Pourquoi est-ce que je t’apprécierais ? J’ai choisi d’être ta victime ?
– Non, tu as raison…
Elle laissa quelques secondes de blanc, perturbée par le dédain avec lequel je lui parlais.
– Retrouve Arios, cherche une faucille qui doit encore dégager une énergie assez colossale.
– J’y penserai.
Arios. Avant de me jeter dans un trou où seule la mort m’attendait, je me suis renseigné sur la chose. C’était la citadelle d’Akziel, le grand ennemi de Leo Kryssen. Leo dont Phase a été extraite. Je me suis demandé si elle voulait me tuer en premier lieu, mais après tout, plus grand-chose ne me faisait peur. Alors je m’y suis rendu, me trouvant face à un immense château en ruines. Je l’ai escaladé, atteins le plus haut point du clocher. Je me suis alors trouvé face à cette faucille dont se dégageait une étrange fumée noire.
– Prends-là, dit-elle.
– Pourquoi je devrais te faire confiance ?
– Parce que si j’avais voulu te détruire j’aurais quitté ton corps depuis longtemps.
– À te retrouver aussi perdue que moi.
– Essai, je te ferai partir si tu ne peux pas la toucher.
– Si tu veux.
J’ai posé ma main droite sur l’arme, qui se fit absorber par mon bras. Elle me laissa un tatouage tribal étrange, blanc.
– Et maintenant ?
– Redescends.
Je me suis jeté en bas, freiné grâce à la force de mes pouvoirs. L’onde de choc dévoila un groupe de démons, ou de choses bizarres.
– Laisse-moi le contrôle, dit-elle.
– Quoi ?
– Rien qu’une seule fois. Je te promets, tu ne le regretteras pas.
Et je ne l’ai pas regretté. Elle éleva mes mains vers le ciel, créant une sphère noire dans mes mains, invoquant un immense tunnel violet au-dessus de nous. Elle m’irradia d’un rayon violet, lui aussi, donnant des traces de même couleur aux parties noires de ma peau, qui commençaient à dégager des particules. Elle fit ensuite réapparaitre la faucille dans ma main, puis me rendit le contrôle pour apparaitre à côté de moi, sous une forme blanche immaculée.
– Attrapez-le !
– Essayez donc.
J’ai alors créé un immense puits devant moi, aspirant tous ceux qui essayaient de m’attaquer. Plus je serais ma main, plus j’augmentais la force du puits, plus je sentais cette force maléfique me parcourir. Phase irradiait de plus en plus, bloquant le pouvoir du démon qu’elle m’avait donné. Elle me souriait, comme si elle avait trouvé le moyen de se racheter. Je me suis enfin téléporté devant mon puits pour anéantir les choses qu’ils s’y tenaient.
– Alors, j’avais tort de te faire confiance ? demanda Phase.
– Tu contrôles tout ce que je fais ?
– Toujours pour t’empêcher d’être destructeur pour toi-même.
– Alors tu as eu raison.
Depuis ce jour, lorsque la faucille est dans ma main, je laisse des traces de pas noires sur sol, dont se dégagent d’étranges particules violettes. Je ne sais toujours pas ce que je suis devenu. Tout ce que je sais c’est que pas grand-chose n’arrivait à me battre.
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