{22} Nocturne | From the blood of Wars
Les ombres, la lumière, puis plus rien. Bonsoir. Quelque chose liait Siaelian à son frère, plus qu’un lien de sang, une sorte de fascination.
Rien de ce que j’ai fait ne se reproduira, ni par tes mains, ni celles de quiconque — Delsin
La Tour des Anges. Très ancienne relique de l’avant-guerre, cette tour de monstres déchus qui sont aujourd’hui tous morts. Enfin, s’ils peuvent mourir. La famille avait repris sa résidence dans la tour, alors que la citadelle flottante avait disparu depuis quelques années. Delsin était assez familier avec l’endroit, mais pas Siaelian. Elle explorait la structure, puis se retrouva nez à nez avec son frère, qui sortait de la douche.
– Je… Désolée, dit-elle.
– Ce n’est pas grave, fit Delsin. Ce n’est rien, dit-il s’en allant dans son appartement.
– Qu’est-ce que tu as de tatoué dans le dos ?
Il s’arrêta quelques secondes, puis continua à avancer.
– Viens avec moi.
Kat était l’IA qui gérait la tour, chaque appartement prenait l’apparence que veut lui donner son propriétaire. Quand celui d’Adam était son appartement de Paris en 2062, celui de Delsin était sensiblement moins futuriste. Une sorte de résidence victorienne, sombre et dorée.
– Waw.
– Laisse-moi une seconde, reprit Delsin.
Il alla chercher une boîte, un coffret noir orné de dorures lui aussi.
– Assieds-toi, lui dit-il.
– Je crois que j’ai touché quelque chose que je n’aurais pas dû, n’est-ce pas ?
– Jusqu’où remontent tes souvenirs ? dit-il s’asseyant.
– J’aurais dit mes cinq ans, pourquoi ?
– Alors tu ne te doutes pas de la raison pour laquelle je suis vraiment parti, n’est-ce pas ?
– Je ne m’en souviens pas.
Il chercha une photo, de l’époque où il avait dix-sept ans. Il y avait cette fille qui rappelait étrangement quelque chose à Siaelian.
– À l’époque de cette photo, tu avais neuf ans. Cette fille, c’était la seule personne pour laquelle j’étais prêt à tout, après toi.
– Elle s’appelait Sarah. Elle doit être morte ou très âgée aujourd’hui.
Delsin prit quelques secondes pour répondre, perdu dans ses pensées.
– Il… Je l’ai tuée.
– Oh…
– J’ai fui mes parents, j’ai fui ma famille. J’ai tout fui pour m’éloigner de tout, de ce que cette — chose — pouvait détruire.
– Tu parles de ton suprême.
– Je me suis exilé sur une planète loin d’ici, avant que Zhao ne me retrouve. Le plus jeune de nos oncles.
– Parce que tu ne voulais pas encore une fois faire de mal à quelqu’un à qui tu tenais.
– Exactement. Mais je n’ai pas pu le fuir. Parce qu’on ne peut pas le fuir. On doit juste apprendre à vivre avec.
– Alors pourquoi ces mots sur ton dos ? demanda-t-elle.
« I’m not too sure what I’m supposed to do with this
These hands, this mind, this instability
From a cage I created, to a hell that heaven made
Can’t let go of the hatred, cause I love the way it tastes »
– C’est comme une sorte de mantra. C’est les mots que j’ai gravés dans l’appartement de Zhao, lorsqu’il m’a forcé à m’habituer à mon suprême. Ma force contre ma colère, je n’avais pas le choix, je devais reprendre le dessus en lui laissant le contrôle.
– Je suis désolé pour Sarah, fit Siaelian.
– Ce n’est pas grave, je ne peux pas rattraper les choses. J’assume ce que j’ai fait, répondit-il en regardant sa sœur avec le sourire.
– Ça faisait longtemps que je ne t’avais pas vu sourire.
– Ouais, répondit-il gêné, je ne regrette pas d’être revenu, juste pour toi.
Elle serra son frère dans ses bras, comme si ça faisait des milliers d’années qu’elle ne l’avait pas vu. Puis elle s’en alla, avec le sourire. Elle sortit de la partie résidentielle de la tour pour aller sur le grand plateau central, sur laquelle elle était déjà venue avec Nova.
– Qu’est-ce que tu fais là-haut papa ?
– Toujours la même chose, viens, lui dit-il.
Elle prit quelques secondes de concentration pour se téléporter là où se tenait son père, sans trop de difficulté finalement.
– Tu t’améliores dit moi.
– J’apprends vite, répondit-elle avec le sourire. Qu’es-tu venu faire ici ?
– Tu te souviens de ce qu’il y avait ici ?
– Vaguement.
Il prit son café à la main et se leva de son fauteuil, se tournant vers la citadelle.
– Anathema, la cité éternelle. J’ai déjà dû te le dire, mais elle préserve la vie de ceux qui sont tombés, des races et peuples que l’univers a décidé d’éradiquer.
– Tu m’en as déjà parlé.
– Puis, avant la Grande Guerre, il y avait trois autres villes autour de la Tour. Amidia. La ville de l’ancienne génération d’humains. Elle était ma ville natale, mais elle s’est vue rasée comme tout le reste.
– Le manoir…
– Arios, la cité d’Akziel. Arios et Anathema se faisaient face, toujours. Avec deux tours qui se présentaient l’une à l’autre. La Tour des Anges et le clocher d’un manoir trop grand pour la personne qui l’occupait.
– Alors qu’elle était la troisième
– Dvirel. Dans un de mes nombreux voyages dans les limbes, je suis tombé sur une ville bâtie de toute pièce par Akziel. Je l’ai sortie, ne me demande pas comment. Mais comme les autres elle est tombée. Je l’avais dédiée à une personne qui m’était proche. Une humaine qui est décédée aujourd’hui.
– Tu aimerais la faire revenir ?
– J’aimerais te l’offrir.
– Mais, je…
Il posa son café sur la rambarde, posa ses doigts sur l’anneau au corps d’ange qu’il portait au pouce pour le retirer. Des centaines d’éclairs parcoururent sa main le temps qu’il le retire, puis il le prit dans ses doigts, regardant sa fille.
– Je crois que je n’en ai plus besoin, dit-il.
– Non je ne peux pas te le prendre.
L’arme reprit alors sa forme de cube dans la main d’Adam.
– Je ne te demande pas de l’utiliser, juste de le garder. Je ne pourrais pas toujours te protéger, mais il le fera à ma place.
Elle regarda son père dans les yeux, puis approcha sa main droite du cube. L’anneau vint alors se placer sur son index, prenant une forme très différente. Les deux côtés chromés, puis un bandeau blanc au centre avec des inscriptions en Aldorien dessus.
– Qu’est-ce que je suis supposé en faire ?
– Rien. Quand tu te sentiras prête, viens me voir.
– J’y penserai.
Il se passa une journée, où Siaelian regarda et essaya de comprendre les inscriptions de l’anneau. Le lendemain, elle se trouvait sur le grand plateau de la tour lorsqu’elle eut l’envie de comprendre l’utilité de l’anneau.
– Qu’est-ce que tu fais avec cet anneau Siaelian ? demanda Delsin.
– C’est notre père qu’il me l’a donné. Il veut que je l’utilise pour recréer une citée flottante.
– Dvirel ?
– Comment je suis supposée savoir à quoi elle ressemble ? Puis comment j’utilise cette chose ?
– La pensée.
– Merci pour l’aide, dit-elle agacée.
– Ne sois pas sarcastique, dit-il avec le sourire. Le Trésor des Ages se contrôle par la pensée. Tu n’as qu’à penser à ce que tu veux et il obéira. Puis si tu veux reconstruire Dvirel, je l’ai déjà visitée, j’en ai des souvenirs. Fouille dans ma tête pour t’aider.
– Tu ne veux pas le faire à ma place ? Tu as l’air de mieux savoir que moi.
– Je ne peux pas. Tu ne peux pas quitter l’anneau tant qu’il n’a pas accompli la tâche pour laquelle il t’a été donné.
– D’accord, répondit-elle en soupirant, tu crois en moi ?
– Comme je l’ai toujours fait petite sœur, toujours.
Elle ferma sa main, puis ferma les yeux et se concentra sur ses pensées. Ses pieds se levèrent légèrement du sol, une aura blanche l’entoura et l’anneau se mit à luire. Une lueur bleue brillante qui mettait en valeur les inscriptions sur la bague. Ses cheveux prirent cette lueur qui animait l’anneau, enfin ses yeux s’illuminèrent de cette couleur, transformant presque totalement la fille.
– C’est un bon début, c’est impressionnant, mais c’est un bon début.
– Je crois que je commence à comprendre, dit-elle avec une voix résonnante.
Elle tourna sa main vers son frère, recherchant dans ses souvenirs de la cités, puis vers l’extérieur du plateau pour créer la ville. Des cicatrices se dessinèrent sur son visage, d’étranges marques noires sur le côté gauche. De la terre, des pierres, de l’eau, des arbres, tout s’assembla, un à un. La ville avait un aspect médiéval, presque baroque. Quelques similarités avec l’appartement de Delsin. Toute la cité s’élevait de sa côte à son centre, érigée autour du clocher d’un château ou quelque chose de semblable.
– Waw. D’accord, t’es peut-être un peu plus puissante que moi.
– J’ai réussi ? demanda-t-elle. Je n’arrive pas à voir.
– Reprends le contrôle, respire.
Toute la lumière qu’elle portait se retira dans l’anneau, qui perdit sa lueur avec.
– Est-ce que ça va ? demanda Delsin.
– Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– J’ai vu des choses, j’ai l’impression que l’anneau garde en mémoire tout ce que l’on a fait avec.
– Tu veux en parler ?
– Je suis pas certains que tu sois prêt à savoir ça, ni toi ni personne.
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