Certaines fois, on ne voit que le mal dans le monde, ce qui ne veut pas aller correctement. Et l’on a du mal à accepter ce qui pourrait s’améliorer. Certaines personnes se laissent engloutir dans ce sentiment. D’autres passent à côté et cherche à trouver tout ce qui a de bon chez les autres.
Le monde ne s’arrangeait pas. Le moral d’Ethan non plus. Même s’il parvenait à dormir un peu plus, ça n’était toujours pas terminé.
Lundi 10 septembre 2018.
Depuis quelques mois, Ethan avait perdu une habitude, celle de porter tous les bijoux qu’il portait normalement. Deux bagues, une offerte par une ancienne amie, l’autre qui portait les inscriptions de l’anneau de pouvoir du Seigneur des Anneaux. Un bracelet de force avec l’œil d’Horus, et un second bracelet en acier. Ça en faisait du bordel, ça lui permettait de se sentir lui-même. Ce jour-là, il avait tout repris, juste par envie. Ethan était toujours du soir, et ce jour-là, il s’était dit avec John qu’ils iraient manger un kebab après le travail. Donc à dix-huit heures, l’heure de la pause du soir, Ethan alla se poser sur le banc d’une table alors qu’il faisait encore bien assez bon pour manger dehors. Le casque sur les oreilles, la musique à fond. En gros, personne ne pouvait venir le faire chier, même pas Patoche. Personne, ou presque.
Pour expliquer les choses, depuis le départ du chef, il s’était tramé que son remplaçant allait être un ancien contrôleur, qui s’occupait aujourd’hui des programmes de test. Ça n’y a pas manqué. C’était bien Loic, le frère de Lionel qui prenait la place de celui qui s’était pris une droite à son dernier jour. Aussi, pour le remplacer, parce qu’il fallait remplacer Loic, l’entreprise n’avait pas tardé. Au même jour, du changement y avait déjà un remplaçant, spécialiste des testeurs de la marque qu’utilisait Ethan à ce qu’il avait entendu.
« Imagine Dragons ! fit une voix féminine qui venait de lui enlever le casque des oreilles.
– On peut vraiment pas être tranquille ici. Qu’est-ce que tu fais encore ici ? »
Ethan avait encore les yeux fermés, et n’a donc pas fait attention à qui appartenait cette voix. Oh, et la remarque que fait Ethan vient du fait que la fin des horaires de travail normal c’est seize heures dix-huit, pas dix-huit.
« Je viens d’arriver, j’essaie de me familiariser avec l’entreprise. »
Cette phrase dit rire d’Ethan.
« Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? demanda la voix féminine.
– T’as de la chance si la boite te paie les heures sup alors que tu es nouvelle.
– Ne t’en fais pas pour ça, je me débrouillerai.
– Je n’en doute pas, fit Ethan. »
La fille s’en alla quelque temps après. Ethan rentra de sa pause, et questionna son collègue sur cette étrange personne.
– Une fille qui vient d’arriver ? lui fit Patrice. Non, ça me dit rien.
– Eh bah tu sais pas ? Moi non plus, répliqua Ethan. Ça fait longtemps qu’il n’y a pas eu de nouveau.
– À part le nouveau méthode test, que j’ai pas encore croisé, j’ai pas la moindre idée de qui ça peut être.
– Laisse tomber. Pour l’importance que ça a. »
Pour l’importance que ça a.
Cette nuit-là encore, il y avait des traces du passé. Des bribes d’un temps où plus rien n’avait d’importance, à part elle.
Altar n° 1 : Le silence
Les moments dont il se souvenait du temps passé avec Clara étaient bien souvent les moments où il se sentait le plus heureux, où tous les problèmes du monde avaient disparu pour ne laisser place qu’à la jolie demoiselle.
Il n’avait aucune conscience des dates dans ses rêves, puisque ce sont des rêves. Cette fois-ci, il se souvenait du moment où il revenait du Maroc pour le travail. Elle était venue le chercher à l’aéroport, lorsqu’il sortait du bâtiment, elle s’approcha de lui pour se jeter dans ses bras. Il n’y avait jamais eu aucun mot, juste le son des passants autour d’eux. Et puis le réveil en sueur, comme à chaque fois. C’était le moment où le souvenir devenait le plus important qu’il en sortait violemment.
Quand on s’intéresse à la date, c’est deux semaines avant son décès, environ.
Le lendemain, c’était l’heure de l’arrache cheveux.
« Premier Article Rabat ! lui fit son frère.
– Génial, manquait plus que ça, répliqua Ethan. »
Ah oui, j’ai omis une petite chose dans cette histoire. Ethan a un frère, qui travaille lui aussi dans la même entreprise. Il n’y avait jamais eu de grands soucis à ce que les deux travaillent ensemble. À part se charrier un peu, ils s’entendaient très bien.
« Je suppose que je reprends à seize heures dix-huit.
– Tu devrais avoir toutes les interfaces branchées et la table de brochage calée, lui répondit son nouveau chef.
– J’en attends pas mieux Loic, reprit Ethan. »
Puis le temps avança, Ethan passait sur du contrôle visuel, de finitions pour être précis. C’est la dernière étape de contrôle avant départ d’un produit. Un coffre Caen, encore des retouches. C’est Céline qu’il appelait maintenant, Ludivine était partie consacrer sa vie à quelque chose qui lui plaisait plus.
« Tu vas me détester.
– À force de te voir venir que pour des retouches finitions chiantes, y’a moyen oui. J’arrive, répondit-elle. »
Puis, vint l’étape drôle de la journée, qui vaudra un gros fou rire à Ethan lorsqu’il y repensera plus tard dans la soirée.
« Je t’ai trouvé sur AdopteUnMec, dit-elle à Ethan.
– Oh, ouais, ça doit faire plus de six mois que j’y suis pas allé. J’ai désactivé l’application, mais pas mon compte.
– Ah bah bravo. Mais je vais désinstaller l’application aussi, tu te fais harceler par des dizaines de personnes. Faudrait faire le tri dans tout ce que tu reçois.
– Tu m’étonnes que tu te fasses harceler, reprit Ethan.
– Pourquoi ?
– Quand tu vois qu’on est obligé de payer pour accéder à l’application.
– T’es sérieux ? Combien ça vous coûte ?
– Trente euros par mois.
– Ah ouais je comprends un peu mieux. Pourquoi tu ne l’utilises plus ? demanda-t-elle.
– Si tu veux que ce soit rentable, il faudrait passer son temps dessus, à toujours regarder, trier les gens qui t’envoient des choses. Je suis du genre un peu pessimiste avec mes relations amoureuses. Lorsque je m’investis pour que ça marche, je suis toujours déçu de voir que ce n’était pas le cas. Et je me sens encore plus mal que de rester célibataire.
– Tu préfères faire des rencontres avec des vrais gens quoi.
– Y’a un peu de ça, répliqua Ethan.
– Tu t’es jamais intéressé aux personnes de cette boite ?
– Je vais finir par me poser des questions sur un sens caché aux tiennes, tu sais.
– Je vois pas de quoi tu parles.
– Ouais, c’est ça. Je vais faire mes papiers, avant de me faire découper par l’expé.
– Fuis mes questions, petit lâche.
– Exactement !
– T’es en train de te faire draguer ! lui fit Aurore.
– Merci Captain Obvious. »
Vers seize heures et quart, alors qu’Ethan allait reprendre la suite de son frère sur le coffre, Loic lui apportait quelque chose d’un peu particulier.
« Tu vas bosser avec ma remplaçante. Elle est spécialiste de Ceetis et elle veut s’habituer avec nos méthodes de travail.
– D’accord, répondit Ethan.
– Je lui ai déjà expliqué comment on branchait les produits et comment on calait les tables avec les interfaces. Tu auras juste à lui expliquer le verrouillage des tests de continuité et des résistances et diodes, reprit Loic.
– Ça marche.
– Sylar, fit une voix arrivant près de lui.
– Qu’est-ce que ?
– Enchantée, moi c’est Hortense. »
Ethan reconnut la voix, qui lui avait fait la remarque qu’il écoutait Imagine Dragons.
« Tu me stalk c’est pas possible… Oh ! T’avais raison, Patoche, s’écria Ethan.
– C’était évident, répondit-il.
– Pas forcément. »
Ils passèrent les deux heures ensemble, Ethan à expliquer tout l’intérêt de son travail, comment il déroulait ses tests. Tout était resté bien professionnel, quoi que.
Dimanche 16 septembre 2018.
Encore un saut dans le temps ! Ouais, parce que dans cette période, il ne se passa pas grand-chose d’intéressant. Ethan s’était mis en couple avec Céline, et ça rendait certaines personnes jalouses dans l’entreprise. Mais ce jour-là, il y avait encore une histoire, pas si drôle que ça.
« Va-t’en. »
La demoiselle venait d’arriver chez Ethan, mais déjà elle n’était pas bien reçue.
« N’imagine pas que je ne sais rien. Je ne veux plus te voir, sors de chez moi.
– Non, Ethan je peux t’expliquer… »
Elle se sentait un peu perdue, elle savait de quoi il parlait, mais pas comment il avait su.
« Je n’aurais pas dû, je sais, je m’en veux tellement…
– Sors de chez moi. Avant que ma colère n’en vienne à vouloir te tuer.
– Ethan…
– Va-t’en ! »
La maison venait de perdre son agitation, la hausse de voix d’Ethan avait effrayé tous ceux qui vivaient avec lui.
« Je suis désolée… dit-elle en passant la porte. »
Pendant le peu de temps de leur dispute, cette chanson passait sur sa télévision. Doubt Me de Sylar.
Seasons change just like hearts do
Can’t seem to have it all, gotta push through
Yeah, feel the cold on my fingertips
Guess I’m standing too still, that’s how time slips
Fuck it
So many reasons I should pack it all up and quit
Move somewhere different, far from all this shit
But I’ve got a purpose, and I’ve got a calling
No one said it would be easy but it’s not for nothing (not for nothing)
Go, go if you wanna go on
Doubt me like the rest of them lately I know I’m strong enough
When I feel like caving in
Go, go if you wanna go on
Doubt me like the rest of them lately I know I’m strong enough
When I feel like caving in
Ethan se sentait dévasté et trahi. Il laissa s’en aller la demoiselle, puis il alla s’écrouler dans son fauteuil. La vie reprenait alors chez lui, mais la compagnie qu’il avait ne suffisait pas à l’empêcher de pleurer. Il n’avait pas pleuré depuis la mort de son père. Il n’avait pas pleuré pour la mort de son père.
Dans le temps :
– Je ne t’ai pas vu pleurer lors de la cérémonie. Je te trouve très courageux.
– Ce n’est pas du courage, il est juste antipathique, répliqua un de ses oncles. Depuis quand on ne pleure pas la mort de son père ?
– Laissez-le tranquille putain ! Il vous a pas demandé votre avis !
Et voici Patrick, le cousin d’Ethan. Ils se côtoyaient régulièrement depuis quelques années, ils s’entendent très bien les deux. Ça n’a choqué personne qu’il prenne sa défense, encore moins Ethan.
Puis un petit crème était venu se poser sur ses genoux, essayant d’essuyer ses larmes sur son visage. C’était Olias, le plus petit des quatre chats qu’avait Ethan. C’était son préféré malgré qu’il ne soit pas le plus câlin de tous.
Il dessina un sourire sur le visage de son propriétaire, puis il se coucha sur ses genoux.
Dial 1, 2, 3
I keep checking my phone in hopes that you’re calling me
And I just can’t believe
I keep picking the scabs and revealing what’s underneath
Now I’m stuck in the darkness
Living with the fact I can’t finish what I start with
After all these years I’ve become so heartless
And I’m so sick
And I’ll wait for you
If you wait for me
Through the longest night
I’m still on your side
And I’ll wait for you
If you wait for us
Till we both collide
On the other side
I’m not giving up, up, up on you
Say you won’t give up, up, up on me
Sick, sick
I’m so sick
Sick
I’m so…
— Sylar | Wait for You –
Le chaton se mit à ronronner, et Ethan s’assoupit dans son fauteuil. Quelques heures plus tard, son meilleur ami le sortit de son sommeil.
« Bah alors ma poule comment ça va ? demanda John au téléphone.
– Ça va… répondit Ethan.
– Oh ! Céline est passée c’est ça ?
– Ça y ressemble ouais.
– Tu veux que je débarque avec Chloé, avec un kebab et des bières ?
– Pourquoi pas ?
– Aller, vendu. »
Ils passèrent la journée ensemble, à jouer, à déconner, à faire jouer les chatons et à boire. Ça avait bien remonté le moral d’Ethan, mais il manquait encore quelque chose. Quelque chose qui passait inaperçu à ses yeux.
Lundi 17 septembre 2018.
Cela faisait trois semaines qu’Ethan bossait en journée, toute l’équipe d’ailleurs. À faire du contrôle visuel et pas du test. Ce jour-là, il se passa une seconde étrange, d’inattention, puis de rêve. Puis Lionel qui le réveilla en claquant des doigts devant ses yeux.
« Va te la faire plutôt que passer ton temps à la mater.
– Qu’est-ce que tu racontes ? répliqua Ethan.
– Tu sais très bien de quoi je parle. À chaque fois qu’elle passe, t’as tes yeux qui se dispersent sur son cul.
– T’exagères. »
Il se tourna vers Aurore qui était en face lui. Elle lui retourna un regard un peu détourné, son fameux regard d’acquiescement sans paroles.
« Bien ! Vu que vous avez l’air de plus le voir que moi. Vous avez raison.
– Attache-la et kidnappe là.
– Non merci, Cédric, tes idées farfelues je m’en passerai, répondit-il.
– C’est pas farfelu, regarde la mienne est encore avec moi. J’ai même deux gamines.
– Non Cédric, ça n’arrivera pas.
– Pourtant tu y penses.
– Autant que toi avec Ludivine les cheveux lissés ? fit Ethan se retournant vers son collègue.
– Carrément ! »
Ethan explosa de rire, et Aurore s’en alla, totalement désespérée. Après manger, la demoiselle vint voir Ethan pour une demande quelque peu particulière.
« J’ai quelque chose d’un peu spécial à te demander.
– C’est pour un kidnapping ? demanda Lionel. »
Les deux se mirent à rire, sans qu’Hortense ne comprenne pourquoi.
« On m’a dit que tu étais spécialiste de Lint, reprit Hortense.
– Moi et Cédric oui, pourquoi ?
– On va reprendre une affaire et j’ai besoin d’aide sur le produit.
– En gros, tu veux que je te fasse toute la merde !
– C’est un peu ça, répondit-elle.
– J’en sais rien.
– Je ferai tout ce que tu voudras. »
Cette phrase fit rire Lionel, étrangement.
« Pourquoi tu le demandes à moi du coup ? Et pas à Cédric ?
– Parce que je suis sûre que je m’entendrai mieux avec toi, reprit la femme. »
Ethan se laissa alors quelques secondes de réflexions.
« Un resto. Tu choisis le resto, la date et l’heure, et je te dis oui, fit Ethan.
– Vendu.
– Je te laisse mon numéro ?
– Te tracasse pas pour ça je l’ai déjà, répondit-elle en s’en allant.
– Elle a déjà ton numéro ? s’étonna sa collègue en face de lui.
– Ça te choque tant que ça Aurore ? Je suis populaire c’est tout !
– Ouais, c’est ça ! répondit-elle.
– Je suis sûr que Dimitri est dans le coup.
– Pas possible, il est de l’autre bord, fit Lionel. T’aurais pas essayé de te le taper d’ailleurs ? »
Ethan se mit à rire, il y avait une petite anecdote sur cette histoire.
« Tu poseras la question à Emilie, répliqua Ethan. »
Vendredi 21 septembre 2018.
Ethan avait décidé de manger dehors, mais pas le reste de son équipe ni de l’entreprise d’ailleurs. Il n’avait pas changé ses habitudes, le casque sur les oreilles, pour que personne ne vienne le perturber. Il arriva sur un morceau de sa playlist, qu’il se mit à chantonner.
Well, when you’re sitting there in your silk upholstered chair
Talking to some rich folk that you know
Well, I hope you won’t see me in my ragged company
Well, you know I could never be alone
Take me down little Susie, take me down
I know you think you’re the queen of the underground
Puis quelqu’un vint finalement le rejoindre, et s’assoir à côté de lui.
And you can send me dead flowers every morning
Send me dead flowers by the mail
Send me dead flowers to my wedding
And I won’t forget to put roses on your grave
Elle se mit à chanter avec lui, et ça le fit sourire.
Well, you’re sitting back
In your rose-pink Cadillac
Making bets on Kentucky Derby Day
I’ll be in my basement room
With a needle and a spoon
And another girl can take my pain away
Take me down little Susie, take me down
I know you think you’re the Queen of the Underground
And you can send me dead flowers every morning
Send me dead flower by the mail
Send me dead flowers to my wedding
And I won’t forget to put roses on your grave
Take me down little Susie, take me down
I know you think you’re the Queen of the Underground
And you can send me dead flowers every morning
Send me dead flower by the US mail
Say it with dead flowers at my wedding
And I won’t forget to put roses on your grave
No, I won’t forget to put roses on your grave
« Les Rolling Stones, lui fit Aurore.
– J’adore ce morceau.
– C’est quand même sacrément glauque Dead Flowers. Mais à en juger à tes yeux, il veut dire beaucoup.
– J’ai perdu deux de mes copines. J’écoute ce morceau depuis que j’ai perdu Mélissa. Ça fait plus de deux ans maintenant.
– Je suis désolé…
– Ce n’est pas grave. Après tout, ce n’est pas toi qui les as tuées ? »
Les deux se mirent à discuter musique. Ils n’arrivaient jamais à tomber d’accord, il y avait un plus d’une décennie d’écart entre les deux.
« Où l’as-tu caché ? demanda-t-elle.
– De quoi tu parles ?
– De ta carapace. »
Ethan avait l’impression qu’elle avait lu quelque chose en lui, quelque chose qu’il s’efforçait de cacher, en vain.
« Martelée de couteaux, répliqua-t-il.
– Tu n’as jamais pensé à la porter à nouveau ?
– Pour que le monde voie que je suis détruit par mon passé ? Laisse-la là où elle est. Laisse-la avec celui qui m’a obligé à la casser.
– Alors c’est un homme qui t’a obligé à la quitter ? Tous des connards, ces mecs de toute façon.
– Ça me fait rire, répondit-il en riant.
– Et tu as une jolie fausse blonde qui n’attend qu’une chose c’est votre premier rendez-vous, dit-elle regardant Hortense sortir du bâtiment. Je suis persuadé que tu es quelqu’un de génial, pour qu’il y ait eu des prétendantes avant elle à qui tu tenais autant.
– Et pourtant…
– Ne pense pas à Céline, c’est elle qui a été stupide à te tromper comme une pétasse. »
Ethan explosa de rire, il voyait les choses de la même manière, mais l’aisance des mots qu’avait Aurore l’empêchait de rester sérieux.
« Bonne chance pour ton rendez-vous, dit-elle avant de partir »
C’était pour ce genre de choses qu’Ethan avait gardé ce travail, les personnes avec qui il travaillait le faisaient toujours rire. Il ne passait que rarement une mauvaise journée, en presque deux ans de travail. Il repartit dans le bâtiment, dans le hall où se tiennent les machines à café. Il y croisa la demoiselle, qui attendait que la sonnerie retentisse pour retourner travailler.
« Prends le temps de te poser. Ça sert à rien de passer ton temps la tête dans ton travail, dit-il à Hortense.
– C’est toi qui me dis ça ?
– Ça fait bien longtemps que j’ai arrêté, la boite ne te le rendra pas. Ça sert à rien, à part te rendre fou, et fatigué. Un café ?
– Pourquoi pas. »
Les gens se battaient presque pour accéder aux machines café. Non, ça c’était seulement quand il y avait une cinquantaine d’intérimaires en plus dans l’entreprise, plus maintenant. Mais il y avait toujours quelqu’un dans les environs. La demoiselle attendit qu’il n’y ait plus personne pour lui annoncer.
« Demain, à l’Hôtel de France.
– Dit donc, tu vas me ruiner ! répliqua-t-il.
– T’es sérieux ? Je suis persuadé que tu gagnes plus que moi.
– Crois-moi, l’ancienneté ne joue pas beaucoup ici.
– De toute façon, j’avais pas prévu de te faire payer !
– Ah ben d’accord, répondit-il en riant. Quelle heure ?
– Dix-neuf ?
– Ne demande pas, impose. Moi je m’adapte.
– Va pour dix-neuf heures. Sois pas en retard ! s’exclama-t-elle avant de passer la porte.
– Je n’y compte pas. »
Je ne vous l’ai peut-être déjà dit, mais John à un double des clés de chez Ethan, pour pouvoir venir s’occuper de ses chats quand il est absent. Le soir, ils s’étaient donné rendez-vous chez lui pour une petite soirée entre potes. Mais il y avait un peu plus qu’un pote.
« J’ai fait rentrer quelqu’un, fit John quelques minutes après qu’Ethan soit rentré.
– Tant qu’il ne ressemble pas à cette… Chose !
– Ça m’avait l’air plutôt féminin n’empêche.
– Féminin ? s’interrogeât Ethan. »
L’intrus, sorti des toilettes, remonta les quelques marches qui menaient au salon, puis vint se lancer dans les bras d’Ethan. L’intruse, c’était Flora.
« Je suis tellement contente de te voir !
– Et moi donc princesse, qu’est-ce que tu viens faire ici ? demanda-t-il.
– C’est moi qui devrais te demander ça !
– Pas vraiment non.
– C’est vrai. J’ai décroché un job à Mende tout à l’heure. Alors je me suis dit que, vu que je me suis donné de la peine pour savoir où tu habitais sans te demander, je pouvais passer te voir.
– Et je parie que le tricheur il se tient derrière moi ?
– Exactement, répliqua-t-elle.
– Mais attend, comment tu as su pour John, je ne t’ai jamais parlé de lui.
– J’ai quelque peu triché moi aussi.
– Tu me déçois beaucoup Flora, fit Ethan se dirigeant vers le frigo.
– Dit-moi que tu as pris de la despé ? demanda John.
– Évidemment ma poule, tu m’as pris pour qui ?
– T’es devenu alcoolique ? demanda Flora.
– Euh… Ouais ! répliqua Ethan. Les choses ont fait que c’est devenu compliqué. »
Puis il arriva presque minuit, John repartit, lui aussi il avait quelqu’un dont il devait s’occuper chez lui.
« Tu lui passeras le bonjour ! fit Ethan.
– Avec plaisir, répliqua John. »
Ethan et Flora étaient installés l’un à côté de l’autre, peut-être un peu trop proche.
« Tu ne l’as toujours pas remplacé ? demanda la fille.
– Trois fois.
– J’ai le droit de savoir ?
– La première fois par un homme.
– Ah bon ? s’étonna Flora.
– Ne te choque pas, tu m’as déjà vu mater des culs de mec des dizaines de fois.
– Mais de là à sortir avec.
– Il fallait que j’essaie, reprit-il.
– Comment ça s’est fini ?
– Ma colère, à l’écraser parce qu’il pensait mieux savoir ce qui était bien pour moi que moi-même.
– Je suis la seule à avoir ce droit-là ! Heureusement que je ne l’ai pas connu !
– T’es toujours aussi dérangé dans ta tête ! répliqua-t-il.
– Quelque peu.
– La seconde s’appelait Clara.
– Et elle t’a quitté comme une vieille chaussette ! s’exclama-t-elle en riant.
– Rupture d’anévrisme. »
Le sourire sur le visage de la demoiselle s’effaça, d’une manière très étrange.
« Tu te souviens ? On ne se connait pas pour ce que l’on a de bien chez nous.
– Tu as raison, répondit-elle.
– Et enfin Céline. Elle m’a trompé. T’as de la chance, je l’ai quitté le weekend dernier, je crois.
– Tu crois, la bonne blague.
– Qu’est-ce qu’il ne va pas ?
– Tu me fais rire avec tes bêtises.
– J’espère bien ouais !
– Et l’autre ?
– Comment-ça l’autre ? demanda-t-il.
– John parlait d’une autre. Et de demain, je crois.
– Oh oui, Hortense. J’ai un rencard avec elle demain, dit-il en allant poser les bouteilles vides à la poubelle.
– Et tu me l’as même pas dit ?
– Je ne suis pas certain que ça soit très intéressant tant que j’ai pas tout foiré au premier rencard, tu vois.
– Tu aurais quand même dû me le dire !
– Je te rappelle que c’est toi qui as arrêté de me parler, dit-il s’installant à nouveau sur le canapé.
– Je, j’ai pensé que je devais te laisser du temps, après Mélissa. J’ai bien fait, je pense, mais je suis peut-être resté trop longtemps.
– Tu crois ? »
Puis quelque chose se répéta, comme si certaines fois, cela devenait inévitable. Flora se rapprocha d’Ethan et l’embrassa. Mais ils furent interrompus par une petite créature qui se mit à miauler sur les genoux de la demoiselle.
« Qu’est-ce qu’il y a Orchidée, tu es jalouse ?
– Miaou !
– Je crois que oui ! répondit Flora. C’était juste pour m’assurer que tu embrassais toujours aussi bien. Tu sais, pour Hortense.
– C’est toujours aussi bizarre… reprit Ethan.
– Je sais que ne veux pas être avec un homme, pourtant j’ai toujours autant envie de t’embrasser. Qu’est-ce que tu m’as jeté comme sort ?
– Rien du tout, répondit Ethan.
– Alors pourquoi cette étrange attirance ?
– Parfois il y a des choses que l’on ne sait pas expliquer.
– Parle-moi d’elle, demanda Flora. Je parie que tu l’as rencontrée sur un site.
– Au taf.
– T’es sérieux ? Tu pourrais pas me donner raison, rien que pour une fois ?
– Elle est méthode test, elle fait les programmes pour les produits qu’on teste.
– Et toi ?
– Je contrôle les produits, visuellement ou électriquement.
– Ouais, rien de très spécial en somme votre rencontre en fait, dit-elle déçu.
– Elle est venue me voir quand j’étais en pause. Je travaillais de treize heures à vingt-et-une heures et j’étais en pause à dix-huit.
– Elle est venue te voir, tu lui plaisais déjà.
– Ça parlait de kidnapping quand je lui ai proposé le rencard.
– Quoi ? s’étonna-t-elle.
– Je te raconterai plus tard. Elle était venue me voir pour me demander un gros service, j’acceptais seulement si elle acceptait le rencard.
– Et elle a dit oui !
– Je veux qu’elle a dit oui ! répliqua-t-il.
– Elle est comment ? Physiquement.
– À peine plus petite que moi, les cheveux châtain clair, les yeux marrons.
– Elle ressemble à Mélissa quoi.
– Pas vraiment, répondit-il. Elle te ressemble plus que ce qu’elle lui ressemble.
– J’espère que ça va marcher. Il me manque l’Ethan qui était avec Mélissa, qui l’aimait.
– Moi aussi j’espère. Et toi ?
– J’ai quitté Laura, dit-elle. Elle devenait folle, jalouse, possessive au possible. Elle me faisait vivre un enfer.
– Je suis désolé.
– Ce n’est pas grave, je suis contente d’être partie. Tout ce qu’elle m’a fait subir m’a fait oublier les sentiments que j’avais pour elle.
– Tant mieux, si tu le vis aussi bien.
– Ça reviendra, dit-elle en souriant. »
It’s been a few years since you been gone
There’s been a few tears, but that was years and years ago
Yeah, I grew up to be exactly what you wanted
Yeah, I’ve been living out the dream that you dreamt up
It’s been a few years with more to come
It’s been a few years since I’ve felt sure of what I want
And I woke up today and found that you were waiting here for me and I thought
Woah, old friend, it’s bittersweet
But how could you do this to me?
How could you do this to me?
Yeah
– EDEN |crash —
C’était le premier rendez-vous, le plus important, n’est-ce pas ? Hortense lui avait donné l’adresse d’un resto qu’elle appréciait particulièrement. C’était un samedi et il pleuvait.
22 septembre 2018.
Ethan arriva vers le parking où ils s’étaient donné rendez-vous, et aperçu la demoiselle avec son parapluie. Il sortit de sa voiture et alla se précipiter sous le parapluie de la demoiselle.
« Ça ne te dérange pas si je prends un peu de place ?
– Bien sûr que non, répondit-elle un peu timidement.
– On y va ? demanda-t-il lui tendant son bras.
– Avec plaisir. »
Le restaurant était de l’autre côté de la ville, à côté du cinéma. Les deux devaient traverser tout le centre-ville pour y accéder.
« J’avais oublié que tu roulais avec une aussi grosse voiture, dit-elle
– C’est un peu plus imposant que ta 206 oui.
– J’ai encore une voiture d’étudiante, j’ai pas les moyens de changer. Mais c’est plutôt plaisant de te voir avec ça.
– Ça fait un peu vénal ? Non ?
– Peut-être, répondit-elle timidement. »
Elle se présentait de dos, les jambes croisées, lorsqu’Ethan était arrivé sur le parking. Mais il n’eut pas de mal à la reconnaître à sa silhouette, et à sa coiffure. Elle avait cette habitude de coiffer ses cheveux longs avec une tresse, qu’elle laissait descendre devant son épaule gauche. Elle portait une longue veste gris et noir, un jean bordeaux et des petites bottes à talons.
L’Hotel de France, c’était sympa comme nom. Il était plutôt bien placé, mais il manquait d’une chose, une vue. Le paysage alentour est magnifique, c’est dommage qu’aucun restaurant n’en profite vraiment. Les deux amoureux, si je peux les appeler comme ça, s’arrêtèrent devant le restaurant, avec cette petite hésitation de la demoiselle.
« Je ne m’attendais pas à te voir débarquer habillé comme ça. Je te trouve très beau, dit-elle en rougissant. »
L’Ethan, qui ne sortait pas du lot, avait changé en quelques années. Chemise rouge et noire, jean gris, chaussure et veste en cuir. Ça, c’était les traces du style qu’il avait pris depuis ces années, ce style que Mélissa lui avait donné. Style qui n’avait pas laissé Hortense indifférente apparemment. Ethan ouvrit alors la porte à sa compagnie, il lui fit : « Toi aussi t’es plutôt jolie sous ton parapluie » avant qu’elle ne passe la porte. Si quelque chose n’avait pas vraiment changé chez lui, c’était sa timidité, qui était plus facilement cachée qu’au paravent. Ils entrèrent dans le restaurant, la demoiselle s’avança vers l’accueil pour demander la table qu’elle avait réservée. L’hôtesse les amena vers le salon, mais Ethan se fit interpeller par une connaissance.
« Ethan ! Ça fait longtemps dit donc.
– David ! Ça fait longtemps en effet, répondit-il en lui serrant la main. Tu t’es fait embauché dans un trois étoiles !
– T’as vu ça ? Même toi t’y aurais pas cru à l’époque.
– C’est bien vrai ça. »
Il y a une époque, bien loin de celle que je vous raconte maintenant, où Ethan étudiait dans un lycée qui se tenait à côté d’un lycée hôtelier. Il avait eu quelques amis là-bas, dont David qui devenait serveur.
« À quelle table vous êtes, toi et ta jolie compagne ?
– Vingt-sept, répliqua Ethan.
– OK, je prends votre table alors. À tout de suite. »
Il s’en alla vers la table, découvrant le haut noir à motif floral que portait la demoiselle. Il quitta alors sa veste et remonta les manches de sa chemise, à son habitude, avant de s’installer devant elle. Laissant alors apparaitre tous ses accessoires et le tatouage sur son avant-bras droit, que la demoiselle n’avait jamais remarqués.
–
–
I’d trade it all, I would give it back
To be a decent human being
I don’t mind, what’s the use ?
It doesn’t matter if I win of lose
If I don’t belong here, then neither do you
It doesn’t matter if I make it through, I don’t mind
« Dit donc, tu as l’air d’être un habitué, lui dit-elle une fois qu’il était assis.
– Pas vraiment, c’est juste une très vieille connaissance. Jamais de la vie j’aurais imaginé le croiser ici.
– Tu es déjà venu ?
– Il y a longtemps oui, pour un repas du Nouvel An, avec mon ex-belle-sœur.
– Ton ex-belle-sœur ? demanda-t-elle intriguée.
– Ouais, je suis pas certain que j’ai envie de t’embarrasser de ces histoires tout de suite, dit-il avec le sourire. »
Il commençait à s’installer une étrange relation entre les deux, quelque chose que les deux avaient voulu cacher, et qu’ils essayaient encore d’ailleurs.
« Vous prendrez un apéritif ? leur demanda David quelques minutes plus tard. »
Ethan fit signe à sa compagne de choisir en première, peut-être pour se laisser le temps de choisir.
« Un birlou, dit-elle.
– Et une Affligem Triple pour moi, fit Ethan. »
Le Birlou, c’est un alcool créé dans le Cantal, un mélange de crème de châtaigne et de sirop de pomme, additionné de bière. C’est très agréable, mais ça tape un peu fort.
« Tout de suite, messieurs dames, répliqua David.
– Tu préfères le local ? demanda Ethan.
– Ouais, j’aime bien le birlou, puis au pire je peux me faire ramener, répliqua-t-elle.
– Tout ça parce que j’ai une grosse voiture !
– Mais non… répondit-elle en rougissant.
– Vos apéritifs messieurs dames, je reviens plus tard pour la carte, dit David.
– À notre collaboration, dit-il levant son verre. Et à nos heures de galère sur Lint !
– À notre galère ! dit-elle en trinquant avec lui. Et à tous les bons moments qu’on va passer. »
Quelques minutes s’écoulèrent, les gens autour qui tournaient, les serveurs, les clients. Ils les passèrent à discuter boulot. David leur amena la carte, Ethan commanda une entrée, spécialité de saumon, et elle un plat de charcuterie.
« J’aime beaucoup ton haut, le style vintage ça te va bien, dit-il après avoir reçu leurs entrées.
– Merci, répondit-elle, j’aime bien tout ce que tu portes aussi, ça te donne un style très bizarre que tu portes super bien.
– Merci, ça me fait très plaisir, dit-il.
– Mais bientôt je rentrerai plus dedans, dit-elle lui volant une tranche de saumon.
– Ah carrément ! T’es comme ça ! répliqua Ethan.
– J’adore le saumon fumé, dit-elle. Prends dans mon assiette, ça te fera pas de mal.
– Ah ben d’accord, je le prends bien.
– T’es tout maigre ! s’exclama-t-elle.
– Je prends pas de poids, je mange déjà comme quinze.
– T’as bien de la chance, moi j’en suis très loin…
– Tu es surtout très loin d’être grosse, répliqua-t-il. »
Ses mots réussirent à gêner la demoiselle, il venait de toucher quelque chose, sensible ou pas, c’est une très bonne question.
« J’ai l’impression d’avoir touché quelque chose. »
La partie amusante dans le rendez-vous, c’est qu’Ethan savait qu’il essayait d’en obtenir quelque chose, mais en jouait comme s’il n’y avait rien, dans le cas où la demoiselle avait juste accepté par principe.
« Ce n’est pas ça, j’ai pas vraiment l’habitude que les autres me flattent…
– Tu devrais leur dire de le faire plus souvent alors, répondit-il en souriant.
– Tu me dis ça juste par principe ? Ou parce que tout ça ressemble étrangement à un rendez-vous galant ?
– J’aurais pu, mais si je te le dis c’est parce que je le pense vraiment. Je te trouve vraiment jolie. Tu n’es pas très sophistiquée, mais les quelques ajouts que tu portes te mettent en valeur. Tes bagues, ton collier, ton maquillage. »
Un Ouroboros, voilà ce que représentait le collier que portait Hortense, quant à sa signification pour elle…
« Parle-moi un peu de toi, lui dit-elle.
– C’est un peu vaste comme question ça, répondit-il.
– Comment tu es arrivé dans notre entreprise ?
– Par une boite d’intérim. Je déconne pas ! reprit-il, voyant la demoiselle étonnée.
– Sérieusement ?
– C’est leur politique tu le sais, je suis arrivé au moment où le rachat avait forcé notre site à augmenter la cadence, et les effectifs avec.
– Et tu es resté.
– Va reformer un contrôleur, deux mois pour qu’il soit un minimum efficace. Puis j’aime bien ce que je fais, je ne m’ennuie jamais.
– J’imagine que les erreurs du Maroc, c’est jamais vraiment ennuyant, répliqua-t-elle.
– Voulez-vous du vin pour le repas ? leur demanda David.
– Je ne suis pas contre, répondit Hortense.
– Un faugères ? demanda Ethan.
– Je dois pouvoir avoir ça, répondit David.
– Une bonne année, un peu sucré mais pas trop alcoolisé.
– 2012 ? demanda David plutôt confiant.
– Ça m’a l’air bien ça. Vendu, reprit Ethan.
– Je vous apporte ceci, choisissez votre plat.
– Et en plus, il s’y connait en vin ! fit la demoiselle.
– Pas vraiment, on va dire que mon père m’a inculqué deux, trois petites choses. Je suis plutôt amateur de bières que de vin.
– Parle-moi un peu de toi, lui demanda la demoiselle.
– C’est la deuxième fois, tu sais ?
– Ouais, mais dis-moi ce que tu aimes, que tu aimes faire, ou pas d’ailleurs.
– Je suis un grand amateur de musique.
– J’ai cru comprendre au fait que tu portais toujours un casque autour du cou, répondit-elle.
– Moi ce qui me fait plaisir, c’est que tu connaisses une partie de ce que j’écoute.
– Je connais vraiment que les deux que j’ai cités, je suis pas certaine que j’écoute le reste.
– Quoi d’autre ? Je passe pas mal de temps à jouer aux jeux vidéo avec mon meilleur ami, j’écris quand j’ai un peu de temps. Je bricole pas mal avec mon frangin.
– Tu écris ?
– J’ai une trilogie pas finie, et deux grosses histoires, pas finies non plus.
– Quand as-tu commencé ?
– Oula… répondit-il »
Ethan a commencé à « écrire » lorsqu’il était au collège, mais il n’a jamais vraiment concrétisé les histoires qu’il imaginait à l’époque. C’était surtout une sorte d’échappatoire pour lui, pour dissiper l’imaginaire et le cerveau trop grand pour les cours qu’il suivait.
Les histoires dont il parlait, elles dataient de sa première année de Bac, c’est cette année là où il se décida vraiment à poser les idées qu’il avait, et en a fait une trilogie en premier lieu.
« 2011, il me semble, fit Ethan.
– Si longtemps que ça ?
– Si longtemps oui. L’inspiration n’est pas quelque chose qui nait dans ma tête comme une fleur avec un peu d’eau.
– Ton imagination préfère l’alcool, dit-elle en riant.
– Ouais moques-toi de moi. Mais ce n’est pas vraiment faux. Il est dommage qu’il me faille que je confine mon cerveau dans un cadre. Si je me laisse divaguer, je sais pas avancer ce que j’écris.
– Comme ?
– Avez-vous choisi ? demanda David les interrompant.
– Pas du tout. Je n’ai même pas l’idée ce que je j’aimerai, répondit Hortense.
– Quelque chose pour nous guider ? demanda le jeune homme.
– La spécialité du chef ? Elle devrait vous plaire.
– Tu peux détailler ?
– Un canard laqué, avec ses légumes. Et ce n’est pas un petit bout de canard et deux légumes. On fait de la cuisine fine, mais pas du gastronomique.
– Ça à l’air bien ! dit-il regardant sa compagne qui acquiesçait. Ça a l’air très bien.
– Je vous apporte ça.
– Je n’ai pas eu ta réponse du coup, reprit la demoiselle.
– Je ne peux pas écrire avec quelqu’un qui regarde ce que j’écris, ou pire, qui commente. J’ai besoin d’être dans mon monde, dans le monde que j’écris.
– Je pense que je comprends, répondit-elle. »
David leur amena les assiettes, deux demi-canards avec leurs légumes. La présentation était tout de même très soignée, sans que la cuisine n’en devienne gastronomique avec rien à manger.
« Et toi alors ? Pourquoi être devenue spécialiste des bancs de test et de l’automatisme, pourquoi pas serveuse ?
– T’es sérieux ? Tu me vois dans une de leurs tuniques ? »
Ethan venait de faire un bond presque dix ans en arrière. Je reviens à l’époque du lycée hôtelier où étudiait David. Régulièrement, les étudiants avaient des « simulations » de situation réelle. En gros, le lycée prévoyait de vrais repas où ils invitaient les élèves du groupe scolaire, collège et lycée. C’étaient des travaux pratiques, les serveurs devaient servir les élèves et les cuistots faire leurs plats. Dans les souvenirs d’Ethan, il partait souvent avec ses collègues, plus souvent pour profiter des étudiantes serveuses, que du repas gratuit. De plus, que les étudiants avaient tous les tuniques obligatoires.
Le jeune homme se mit à rire, un peu gêné et amusé à la fois.
« Tu veux vraiment ce que je pense ? demanda-t-il.
– Bien sûr.
– Je ne risque pas que tu allonges ta main pour que tu me mettes une grande claque au nom du féminisme ?
– Mais non, qu’est-ce que tu es bête ! répliqua-t-elle. »
Il se tourna vers une des serveuses qui tournaient dans la salle, elles portaient le même genre de tunique que celles que portaient les étudiantes du lycée, la jupe et un chemisier.
« Je dois avouer que la jupe, ça a un certain charme, je pense pas que j’ai besoin d’être plus explicite que ça.
– Tu ne réponds pas vraiment à ma question.
– J’aimerais bien te voir avec, je suis persuadé que ça t’irait bien. »
Cette fois-ci, il avait vraiment fait rougir Hortense, mais ça ne l’a pas choqué, il s’y attendait, étrangement.
« Ça fait un peu trop de flatterie c’est ça ? demanda-t-il d’un air amusé.
– Je ne me vois pas porter ça, ça dévoile beaucoup trop. Je n’ai pas assez confiance en moi pour ça.
– Ça ne dévoile pas, ça montre les formes. Tu peux trouver des tenues qui vont dévoiler et montrer les formes. Imagine-toi un mec super musclé avec une chemise très serrée. Ça fait le même effet.
– Un peu comme toi, répliqua-t-elle
– Oh, pas tant. Je sais que je porte presque que des vêtements serrés, mais de là à être musclé.
– Mais ça te met bien valeur, j’aime bien.
– Merci. »
Puis il y eut quelque chose d’étrange, comme si les deux étaient allés déjà trop loin, ou pas assez. Ils se mirent à discuter boulot. Jusqu’à la fin du repas.
« Je dois aller aux toilettes, tu m’attends pour payer ?
– Je paie et je t’attends dehors tu veux dire ? demanda Ethan.
– Je refuse que tu paies tout ! répliqua-t-elle.
– OK ! Ne m’engueule pas ! »
Ethan se dirigea vers l’accueil pour payer le repas, David vint le réceptionner.
« Tu vas quand même pas payer ton repas ? lui demanda David.
– T’es pas sérieux là ? s’étonna Ethan.
– C’est la maison qui paie, pour vous deux. Je te la dois bien celle-là.
– OK chef, au plaisir de te revoir !
– Repasse quand tu veux. »
Ethan prit le chemin de la porte, puis le parapluie pour aller prendre l’air. Quelques minutes plus tard, Hortense passa à l’accueil pour payer sa part, mais David lui annonça que l’homme avec qui elle était avait déjà tout réglé.
« T’as vraiment tout payé ? demanda la demoiselle. »
Il ne put s’empêcher de sourire, même s’il n’avait pas vraiment payé, c’était quand même lui qui avait invité, en quelque sorte.
« Tu m’as fait passer une super soirée, lui dit-il en tendant son bras, il fallait bien que je sois un minimum galant.
– Tu ne pouvais pas être galant juste pour regarder mes fesses ?
– Aller vient, dit-il en riant, plutôt que de dire des bêtises. »
Ils passèrent devant une sorte de minuscule parc en repartant vers le parking, il se situait en face de la Mairie. Hortense prit Ethan par la main, l’amena sur un des bancs en pierre et s’assit sur ses genoux.
« Et tu m’affirmes que tu n’as pas trop bu, lui dit-il.
– Je tiens mal l’alcool, je sais, mais je m’en fiche, tu me ramèneras.
– Évidemment, répondit-il. »
Elle posa sa tête sur son épaule. Elle lui semblait heureuse et lui, perdu dans ses pensées, comme toujours.
« Tu ne m’as pas parlé de tes ex, lui fit Hortense. »
Ethan se mit à rire, c’était à la fois amusant pour lui, mais très nerveux aussi.
« Pourquoi tu voudrais que je te parle de mes ex ? demanda-t-il.
– Je ne sais pas, pourquoi pas ?
– Il n’y a rien d’intéressant à tirer de passages de nos vies où l’on fait que se battre pour ce que l’on croit, et ceux que l’on aime. Et où l’on finit toujours pas être déçu à trop attendre d’un monde qui fait que nous faire survivre.
– C’est très fataliste ce que tu racontes, dit-elle.
– C’est très moi, répondit-il. »
Son visage laissait apparaitre un faux sourire, l’acceptation de ce que son passé avait fait de lui.
« Qu’est-ce qui t’a rendu comme ça ? demanda-t-elle.
– Je ne sais pas trop, mes expériences du passé, la mort de mon père.
– Oh, je suis désolé.
– J’ai appris à faire avec maintenant.
– Et tout le reste ?
– J’étais un garçon timide il y a quelques années. J’ai réussi à passer au-delà de ce qui me gênait chez moi grâce à une amie, que j’aime certainement autant que mon meilleur ami. Elle m’a aidé à me rapprocher d’une fille que j’appréciais, pour laquelle je suis tombé amoureux. Elle s’appelait Mélissa.
– Mais cela ne t’a pas rendu meilleur ? demanda-t-elle.
– Cette fille m’a rendu meilleur, elle m’a rendu heureux. Elle a su me montrer que je pouvais être beau, que je pouvais plaire, parce que c’était ce qu’elle me montrait. Elle a bouché tous les trous de ma carapace avec ses petits doigts, dit-il en attrapant la main droite de la demoiselle.
– Et elle est partie ? »
Le sourire d’Ethan revenait sur ses lèvres, ce sourire que Mélissa lui avait dessiné. Les quelques mots qu’il avait dits à Hortense avaient suffi pour raviver les meilleurs souvenirs avec la demoiselle. Puis elle lui demanda pourquoi cela avait changé. Il lâcha alors le regard de la fille, effaçant son sourire. Les sanglots revenaient presque, cela s’est entendu dans sa réponse.
« Elle est morte, répondit-il. »
Hortense ne sut quoi répondre, elle commençait à comprendre cette sombre part de la personne qu’elle avait en face d’elle.
« Après sa mort, il y a eu trois autres personnes, dit-il, reprenant sa voix. Un homme qui a essayé de rattraper les péchés de sa vie en donnant tout son amour, à en devenir destructeur. Il me tirait vers le bas, rejetant toutes ses fautes sur moi. Il m’a éveillé une colère qui aurait presque des envies de meurtre. Puis il y a eu Clara, qui savait sa vie terminée avant que l’on se mette ensemble. Enfin une collègue de travail qui m’a trompé. »
Hortense embrassa le garçon sur la joue, puis reposa sa tête sur son épaule.
« J’espère que la prochaine sera la bonne, qu’elle ne te fera pas souffrir comme les précédents. Tu étais tellement plus beau avec ton sourire quand tu me parlais de Mélissa.
– Ce n’est pas le même que celui que tu as vu toute la soirée. Ce n’est pas le même bonheur. »
La pluie s’était arrêtée pendant leur repas, mais commença à revenir un peu après la fin de leur discussion. La demoiselle se releva, reprit la main d’Ethan et déploya son parapluie.
« Je m’attendais à ce que tu me parles un peu de toi, lui dit-il.
– La prochaine fois ? lui demanda-t-elle se tournant vers lui avec le sourire.
– D’accord, répondit-il en riant, la prochaine fois. »
Ils retournèrent au parking, dans le silence qui régnait à presque dix heures du soir dans cette ville. Animé seulement par le bruit sourd des pas d’Ethan et les claquements des talons d’Hortense. Ils s’installèrent dans la voiture du jeune homme, Hortense fut amusée de la différence avec sa petite voiture.
« Où dois-je vous emmener ? demanda Ethan.
– Chez mon père, à Marvejols. Et oui, j’habite encore chez mon père…
– Je n’y vois pas d’inconvénient, j’ai des amis qui habitent chez leurs parents encore. Au contraire, c’est une bonne planque, dit-il amusé.
– Je viens de me rendre compte que je ne t’ai même pas demandé ton âge, dit-elle.
– Vingt-quatre ans, répondit-il.
– Vraiment ? Je t’imaginais un peu plus vieux. Tu ne me demandes pas le mien ? demanda-t-elle un peu plus tard.
– On ne demande pas son âge à une dame, ça ne se fait pas, répondit-il toujours concentré sur sa conduite.
– Tu t’es arrêté dans les années soixante ? demanda-t-elle en riant.
– Peut-être ouais. »
Les deux restèrent silencieux le reste du trajet, Ethan concentré et Hortense à regarder le ciel qui se dégageait à travers la fenêtre.
Oh, hush, my dear, it’s been a difficult year
And terrors don’t prey on innocent victims
Trust me, darlin’, trust me darlin’
It’s been a loveless year
I’m a man of three fears:
Integrity, faith, and crocodile tears
Trust me, darlin’, trust me, darlin’
So, look me in the eyes (Eyes), tell me what you see (You see)
Perfect paradise (— Dise), tearin’ at the seams (Seams)
I wish I could escape it (Escape), I don’t wanna fake it
Wish I could erase it (Erase), make your heart believe
But I’m a bad liar, bad liar
Now you know, now you know
I’m a bad liar, bad liar
Now you know, you’re free to go
— Imagine Dragons | Bad Liar –
Il déposa la demoiselle vers l’une des entrées de la ville, devant une maison aux murs en pierre. Il l’accompagna jusque sous la terrasse, devant la porte.
« Merci pour cette soirée, lui dit-elle, c’était génial.
– Moi aussi, j’ai passé une super soirée. »
Il y avait une étrange hésitation entre les deux. L’une qui ne savait pas si elle avait trop bu ou si elle pouvait se permettre ce qu’elle voulait vraiment faire pour finir cette soirée. L’autre qui n’avait pas la certitude de lire dans les envies de sa compagne à cause de son état.
« Il faut que je rentre, mon père va m’en vouloir si je rentre trop tard, encore plus dans cet état.
– D’accord, répondit-il.
– On se revoit demain ?
– Pour récupérer ta voiture ? À quelle heure je passe te chercher ?
– Me chercher ? J’aurais pu demander à mon père de m’amener.
– Ah non, comme ça, ça aura l’air d’un vrai rencard.
– D’accord, répondit-elle en riant, viens me chercher à quatorze heures alors.
– Alors à demain.
– À demain, dit-elle passant la porte. »
Il retourna dans sa voiture avec un grand sourire aux lèvres. Mais il avait oublié quelque chose.
« Ok Google, appelle John.
– Tout de suite. »
Comme toujours, il avait promis à son meilleur ami de tout lui raconter, alors il l’appela pour rentrer chez lui.
« Bah putain, ça t’a pris mille ans ! s’exclama John.
– Ouais, mais ça en valait la peine aussi.
– De quoi ?
– D’attendre mille ans, connard ! »
Puis il lui raconta toute sa soirée, en détail, sans en oublier une seule seconde.