[08] – Separate
Les esprits brillants ont mené le monde à ce qu’il est aujourd’hui. Bonsoir. J’ai quelqu’un à vous présenter, quelqu’un d’un peu spécial. Un grand génie au cœur sensible. Écoutons-le.
Je sais que je suis un génie. J’aurais seulement souhaité que ça ne soit pas la seule échappatoire pour oublier mes parents. — Eldon
– Je ne sais par où commencer.
– Alors, commencez par le début, répondit le praticien.
– D’accord. Je m’appelle Eldon Guiliamore, j’ai 17 ans et j’habite Paris.
– Bah, voilà ! Vous voyez, ce n’est pas si compliqué. Racontez-moi les détails de votre vie jusqu’ici. Ce qui vous a le plus laissé de marque dans le cœur.
– Mes parents… Mon père est d’origine française, ma mère irlandaise. Lorsque j’avais cinq ans, ils se sont fait tuer par un groupuscule de la rébellion des Symbians.
– Et cela vous a marqué plus que tout le reste.
– Ce n’est jamais facile de perdre ses parents n’est-ce pas ? Surtout à cet âge.
– Il est vrai. Je vous en prie, continuez.
– C’est mon oncle qui m’a recueilli, le frère de mon père. Il est plus riche que Crésus.
– J’ai l’impression que ça vous pose problème, fit le psychologue.
– Non, pas vraiment. Je sais que sa fortune est méritée, totalement. J’ai un problème avec le fait qu’il était plus présent en tant que père que mon véritable père. Il m’a toujours tout donné. Pas que je m’en plaigne, mais…
– Il ne remplace pas votre père, comme vous ne remplacez pas le fils qu’il n’a jamais eu.
– C’est ça… fis-je.
– C’est un jeu de transfert, vous êtes l’un pour l’autre ce qu’il vous manque l’un et l’autre. Mais je sens qu’il manque encore quelque chose.
– J’avais sept ans lorsque Stéphane, mon oncle m’a fait passer des tests de Q.I. Mon évolution scolaire ressemblait étrangement à celle de mon père. J’en suis arrivé à être diagnostiqué surdoué.
– Dites-moi ce qui vous pèse sur le cœur, fit le médecin.
– Vous n’imaginez pas à quel point c’est abominable, d’avoir un cerveau qui réfléchit tout le temps. Des créations, des cours, des souvenirs…
– Non, je n’imagine pas vraiment. Mais j’ai bien l’envie de vous croire.
– Y’a toujours d’autres choses à dire, d’autres histoires à raconter, dis-je.
– Alors, allez-y, tout peut être entendu.
– Non, c’est la fin de la séance.
– Oh, vous avez raison, répondit-il avec le sourire.
J’étais déjà parti vers la porte, prêt à la passer, puis je me retourne vers lui.
– À quand la prochaine séance ? demandais-je.
– Semaine prochaine ?
– Ça me va.
– Prenez un objet qui compte beaucoup pour vous. Je pense savoir où chercher.
– J’y penserai.
Je suis rentré chez mon oncle, assez perturbé.
– Tout va bien, Eldon ? demanda Stéphane
– Ouais, tu sais à quel point je m’enferme chaque fois que j’en viens à parler de mes parents.
– Je le sais.
– Si tu devais me donner un objet qui compte le plus pour moi, lequel ça serait ?
– Intéressant. J’aurais dit le robot programmateur.
– J’y penserai.
J’étais quelquefois froid avec mon oncle, sans jamais le faire volontairement. Une semaine plus tard, je retournais chez le psy, avec le robot que m’avait conseillé mon oncle.
– Intéressant objet, fit le psy.
– C’est un robot programmateur, il est capable de créer du code, de le corriger, de le rendre fonctionnel, repris-je.
– Pourquoi cet objet en particulier ?
– J’ai demandé à mon oncle lequel il me conseillerait et c’est celui qu’il m’a donné.
– Alors vous avez choisi l’objet qu’il voulait ?
– Non. C’est le premier robot que je crée qui fonctionne réellement, qui n’explose pas, qui ne casse pas, qui ne fait que de faibles fautes.
– C’est votre seule réussite ?
– C’est ma seule réussite. La seule qui me permet de cacher la souffrance de la perte de mes parents.
– Expliquez-moi.
– Je n’ai aucune manière d’effacer ces souvenirs, sauf quand je crée, quand je travaille. J’arrive à me laisser porter sans me soucier de rien, de rien d’autre que ce sur quoi je me focus.
– Pourtant je sens encore une faiblesse, dit le psy.
– Je ne peux me laisser porter quand tout ce que je fais finit par échouer.
– D’où ce robot.
– Je. J’aimerais rester plus longtemps, mais ma fête d’anniversaire m’attend.
– Alors je ne peux vous retenir. Une grande partie de la vie commence à dix-huit ans, alors. Joyeux anniversaire à vous.
– Merci, répondis-je avec le sourire avant de sortir.
Je n’avais pas beaucoup d’amis, alors la fête s’était déroulée assez vite. En famille avec juste mon meilleur ami. Quelques heures plus tard, Stéphane est venu me voir, alors que j’étais dans ma chambre.
– Eldon ? Je te dérange.
– Non, pas du tout. Qu’est-ce qu’il y a ?
– J’ai, on m’avait autorisé à récupérer une partie des affaires de ton père. Je me suis promis de ne jamais les ouvrir et de te les donner lors de tes dix-huit ans. Alors voilà, encore un joyeux anniversaire.
Il me laissa une boite à chaussure et s’en alla. Je n’ai pas attendu longtemps pour l’ouvrir. Tout en haut, il y avait un cadre photo. Mon père, ma mère et moi, lorsque j’avais un an. J’avais quelques vagues souvenirs de cette photo dans le salon, alors je l’ai mise sous l’écran de mon ordinateur. Ensuite, une pile de dossiers, des plus grands projets et recherches de mon père pour Libiothech. Il y avait des notes sur la bio génération des cellules grâce aux implants bioniques. Des implants nommés améliorations si poussés techniquement qu’elles pouvaient remplacer les membres des humains, sans qu’ils s’en rendent compte. Puis un seul cobaye, Adam Pearce. Après une attaque du laboratoire de Libiothech en 2062, son patron décida de le sauver en remplaçant ses bras, ses jambes, ses yeux et son cœur par des implants bioniques.
– C’est complètement fou. Comment tout cela est possible ?
Ensuite, des détails sur les Symbians. Trois ans après le projet Augmentation naissait le premier Symbian nommé Jekiah. Il est le premier robot doté d’une intelligence artificielle aussi, voire plus puissante que celle de l’homme.
– J’ai passé des années à essayer de construire une IA, sans jamais obtenir un seul succès. Qu’est-ce que j’ai raté ?
Aujourd’hui, le projet Symbian est abouti depuis des années, mais Jekiah a totalement disparu, toujours recherché par les autorités.
– Si son intelligence est si puissante, ça ne m’étonne pas vraiment.
L’IA des Symbians est différente de celle de Jekiah. Elle reste moins puissante et moins performante, limitant les désagréments qui ont pu être créés comme leur révolution. Après Jekiah, Libiothech décida d’abandonner les Symbians, déclarés comme trop dangereux, surtout trop faciles à détourner. Les nouveaux Symbians sont produits par Liveras, ayant repris les bases établies par Libiothech. Cette dernière s’attache aujourd’hui à ce qu’elle faisait à sa création. Apporter la technologie aux hommes.
– Alors, sur quoi bossait mon père ?
Il restait un dossier, celui de mon père. Depuis son insertion dans l’entreprise, il était chargé de retrouver les travaux du créateur de Libiothech. Ce dernier qui s’était fait expulser par un certain Devan Jones, qui a tenu l’entreprise de 2063 à 2112. Le fils du patron reprit alors l’entreprise jusqu’à aujourd’hui. Puis je suis tombé sur les écrits de mon père sur ses recherches.
« Je ne sais pas ce que Devan avait essayé de cacher, mais il y a des choses, que le monde ignore sur ce que cette entreprise a fait. J’ai retrouvé les dossiers d’implants bioniques fonctionnels, d’un cobaye de ses implants qui a survécu à la greffe et ces IA, toutes plus complexes les unes que les autres. »
– Des IA ?
« Dans le disque dur de mon ordinateur se trouvent deux IA, une dédiée à l’assistance aux hommes. Une interface faite pour les augmentations, mais aussi pour un contrôle des équipements. De bureaux, de maisons, de je ne sais quoi. La seconde est celle du Projet Symbian, celle qui a été implantée à Jekiah. Elle est presque fonctionnelle, il ne manquerait plus qu’à comprendre de quels équipements elle a besoin pour fonctionner. »
– J’y crois pas…
J’ai repris la boite dans mes mains, il y avait un disque dur, encore intact. Je l’ai alors implanté à mon ordinateur pour savoir ce que je pouvais en faire. Les deux IA qu’avait trouvées mon père y étaient encore. Je n’arrivais pas à y croire. Moi qui avais tant d’années essayé de créer des robots, de leur donner une intelligence assez puissante pour venger la mort de mon père. Tout était sous mes yeux.
J’ai alors pris quelques secondes pour réaliser et réfléchir. Est-ce que je devais vraiment les utiliser ? Avais-je le droit ? Je n’ai pas vraiment pris le temps de réfléchir à tout ça, j’ai alors réinvesti mon ordinateur, cloitré dans ma chambre pour essayer de démarrer l’autre IA. Cela m’a pris quelques heures de recherche et de codage pour finir, sur un échec.
– Oh, bordel, fis-je exaspéré.
– Bonjour, Eldon.
– Quoi ?
J’avais réussi, j’avais démarré l’IA.
– Comment est-ce que tu connais mon nom ?
– Votre père m’a configuré pour reconnaitre les signatures énergétiques de sa famille.
– C’est totalement dingue.
– Ma base de données m’indique que votre père est décédé il y a 13 ans. J’en suis désolé.
– Non, ce…
– Si, la perte d’un être cher est toujours grave.
– Je peux te poser une question ? lui demandais-je quelques secondes après.
– Je vous en prie.
– D’où est-ce que tu viens ? Je veux dire, comment, qui t’as créé ?
– Je suis l’œuvre de Kévin Buffier. Il a retranscrit mon intelligence artificielle d’une extraterrestre.
– Je… Comment est-ce que tu t’appelles ?
– Je me nomme Kat.
– J’ai tellement de questions que je pourrai te poser, mais je ne sais pas par laquelle commencer.
– J’essaierai de vous répondre au mieux.
– J’ai une autre intelligence que j’aimerai mettre en service, tu penses pouvoir m’aider ?
– Si vous parlez de l’intelligence de Jekiah alors oui, je suis capable de la mettre en œuvre pour vous.
– Ne perdons pas une seconde alors.
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